Le vélo solaire d’Émile

En pleine ascension…

Ce vélo électro-solaire a été pensé dès le départ pour participer au Sun Trip Alpes 2022. S’agissant d’effectuer le tour des Alpes et donc de grimper de nombreux cols, le poids a été dès le départ la problématique principale qui a guidé la conception de cet engin solaire. En effet, d’un point de vue physique, un engin se déplacera d’autant plus facilement qu’il sera léger, surtout sur un parcours à forte dénivelation. Pour résumer, moins on aura besoin de déplacer et de monter de poids, moins on aura besoin d’energie. Un engin léger est une réponse efficace à une soucre d’energie rare et diffuse comme l’energie solaire.
Au final, le vélo solaire developpé pèse 30 kg, probablement le vélo solaire le plus léger du Sun Trip. Il faut ajouter à cela environ 10kg de bagages pour être autonome sur plusieurs jours. Ajoutons enfin 70kg de cycliste : on obtient un poids total roulant d’environ 110kg.
Tout au long de la construction de ce projet, j’ai eu la chance d’entrer en contact avec différents partenaires, qui m’ont aidé avec leurs compétences et leurs remarques de conception. Je mets à disposition les coordonnées de chaque intervenant dans chaque rubrique dédiée. N’hésitez pas à les contacter pour plus d’informations ! EMIL1

Le vélo

[NATURAVELO – https://naturavelo.com/
TREK Checkpoint ALR5
Cadre aluminium + fourche carbone
Groupe GRX 2×11 vitesses
Plateau 46-30
Casette 11-34
Selle SMP Well
Freins hydrauliques Shimano RX400Poids vélo seul ~ 10.5kg
Le point de départ d’un bon vélo solaire est un bon vélo. J’ai choisi un vélo de type « gravel » : un vélo de route avec des freins à disques et la possibilité de monter des pneux larges pour une meilleure stabilité. La référence exacte est TREK Checkpoint ALR5.
Je l’ai choisi doté de nombreux inserts pour pouvoir amarrer la structure porteuse des panneaux solaires ainsi que les portes-bagages et autres bidons d’eau. Aussi, je l’ai choisi en aluminium, pour profiter d’un matériau relativement léger, mais également très robuste et réparable si besoin.
J’ai également changé le cintre d’origine pour le fameux Salsa CowChipper 48cm. La plupart des cintres de route font entre 42cm et 44cm de largeur. Celui-ci fait 48cm et permet d’avoir avec un bon bras de levier pour stabiliser le vélo. Il assure aussi une place disponible conséquente au niveau du poste de pilotage pour les nombreux accessoires (GPS vélo, smartphone, lampe avant, sonnette, klaxon, bidons d’eau, etc.)
Pour peaufiner le tout, j’ai changé les roues d’origine pour des roues carbone polyvalentes et robustes : jantes 28 trous, hauteur 35mm, moyeux Hope RS4 et rayons ronds Sapim D-Light. Pour couronner le tout, j’ai mis une paire de pneus Schwalbe MARATHON SUPREME en 700x40C : du très large pour un confort de roulage maximal. Increvable, léger et parfaitement adapté aux étapes de montagnes.

Conception de la structure porteuse

Ebauche du prototype

L’idée de base étant de rajouter le moteur, la batterie et les panneaux solaires à un vélo droit classique, il fallait bien tester ça « à blanc ». Pour cela, rien de mieux que de simuler le prototype avec du carton et du bambou. Le coût de revient est nul, mais cela permet de tester en conditions réelles la faisabilité !

 

Réalisation grandeur nature en bambou et cartons. Première leçon, la saccoche de selle est à proscrire : beaucoup trop d’ombre sur le panneau arrière !

L’avenir est au carton et au bambou!

La structure porteuse des panneaux solaires est le point critique de ce vélo. Il faut l’adapter au vélo existant, faire une structure assez rigide pour porter les 1.6m² de panneaux solaires mais assez souple pour absorber les chocs et vibrations dûes au roulage. Deux caractéristiques finalement assez contradictoires.

La structure du panneau solaire arrière est la plus simple. La roue est « fixe », et on peut se reprendre sur un porte bagage : il y a donc peu de structure à rajouter. Je me suis procuré l’arche du porte bagage « Tailfin » (https://www.tailfin.cc) en aluminium, qui était solidaire du reste du vélo avec du tube carré aluminium (20x20x5mm). Ce tube carré est le support principal du panneau solaire arrière. Le porte bagage permet également de fixer du materiel de bivouac (tente/duvet/matelas).
Reste le plus délicat, la structure du panneau solaire avant avec la grande problématique de la roue avant « mobile », solidaire du guidon (pour tourner !).

Zoom sur les contreventements

L’idée étant d’avoir deux panneaux de même taille à l’avant et à l’arrière, j’ai voulu m’affranchir de tout le système « roue avant – guidon » en imaginant une structure solidaire du cadre. Pour maximiser la rigidité de cette structure, j’ai utilisé deux grands longerons en profilé Bosch 20x20mm. Ces profilés ont été cintrés par une entreprise spécialisée (Cintralp – http://www.cintralp-roulage-cintrage.fr/ et réalisés sur mesure (plans de fabrication en annexe). Un petit test d’une dizaine de kilomètres avec ces deux seuls grands profilés s’est avérée…totalement dangereuse et inutilisable en roulant. J’y ai donc ajouté une traverse, toujours en profilé Bosch 20x20mm, permettant de se reprendre sur le tube diagonal avec deux profils carrés 20x20x5mm. L’utilisation de silentblocs (sortent de caoutchoucs à visser) à complété ce montage pour arriver à une structure stable et qui absorbe les vibrations.
L’interêt des barres en profilé Bosch est non seulement leur rigidité, mais la possibilité de réglage des différents éléments qui s’y accrochent, par le biais des rainures centrales. A mon sens, il est également indispensable d’utiliser des silentblocs (ou plots anti-vibratoire pour les français) pour permettre à la structure de bouger sans casser, d’absorber les vibrations de la route, bref, de fiabiliser une stucture qui a vocation à être malmenée !
Un porte bagage est présent à l’avant sur la fourche, et permet de fixer deux saccoches de 12.5L. Cela a une double utilité : transporter tout le matériel nécessaire au voyage (vêtements, réchaud, nourriture, etc) mais aussi à stabiliser la direction, qui a tendance à guidonner. Une fois la fourche « lestée » de ces deux sacoches, le guidonnage est fortement réduit.
Autre élément, non négligeable : la béquille ! Avec un vélo aussi imposant, une béquille classique est inopérante. J’ai pour ma part orienté mon choix sur un baton de randonnée, reglable en hauteur. Grâce à un collier de serrage « Tailfin » (https://www.tailfin.cc), je pouvais fixer facilement cette béquille sur mon tube de selle. L’interêt du reglage en hauteur du bâton prend tout son sens au petit-déjeuner, le matin, lorsqu’il faut incliner ses panneaux solaires en direction du soleil levant.
Un bâton-béquille supplémentaire n’aurait pas été de trop : mon vélo a souvent été déséquilibré et est tombé une fois ou deux, sans gravité heureusement.

 

Ci-dessus, photo de gauche :  la structure avant vue de face, sans le module solaire. Photo de droite : vue de côté. On remarque l’angle d’attaque du panneau avant, pour éviter que l’air ne s’engouffre trop par le dessous.

 

Figure 11 : Montage de la structure, et test grandeur nature avec des plaques de polycarbonate (en attendant les modules solaires…)

Batterie

METAKIN – https://www.metakin.fr/
Caisson en aluminium / Cellules Li-Ion / Capacité : 750Wh / Tension nominale : 48v / MPPT et shunt solaire cycle analyst inclus / Poids : ~5kg

La batterie est réalisée sur mesure. Il me semblait important de centraliser toute l’electronique au même endroit, et de la protéger des intemperies. La solution proposée par Metakin répondait parfaitement à ma demande : on obtient un système compact, idéalement placé dans le triangle du cadre, et plutôt léger.

Photo ci-contre : pack batterie protégée par un revêtement isolant et BMS.

Le caisson a été fabriqué sur mesure, en aluminium mécanosoudé de 2mm. Il permet de loger tout le monde (batterie + BMS, deux MPPT, shunt solaire et toute la cablerie !) à l’abri des intemperies…2 orages en attestent.

Ce caisson permet aussi d’évacuer la chaleur générée par l’electronique (MPPT, BMS, etc). En effet, les MPPT sont plaqués contre la paroie du caisson, et vissés dessus. Un interrupteur général permet de mettre hors tension tout le système. Il y a également une connexion pour recharger la batterie sur secteur. La forme du boitier permet de conserver la place d’une gourde au niveau du triangle du cadre. Le caisson se fixe sur les inserts du tube diagonal du cadre, et sur le profilé Bosch 20×20 de la structure du panneau avant qui court le long du tube horizontal.
Si l’installation parait compliquée à l’intérieur, c’est finalement plutôt simple ! Voir le synoptique de mon installation électrique ci-après. Si c’était à refaire, je m’inspirerais des caissons batterie présents sur les vélos de Danü et Sibylle. Une tôle acier de 0.5mm est suffisant, et leur caisson est bien plus facilement démontable en cas de dépannage au bord de la route! On pourrait également imaginer un caisson qui intègre seulement l’electronique des MPPT, afin de gagner du poids. On peut facilement perdre 500g sur une version améliorée du caisson batterie !

Moteur

GBOOST – https://www.gboost.bike
Poids : 1.1kg / Puissance : 500W (nominal) – 800W (pic) / Couple : 50Nm
A première vue, le moteur à galet GBoost ne paye pas de mine. Il est tout petit, très léger, il frotte sur le pneu arrière du vélo à la manière d’un « solex ». Au départ du Sun Trip Alpes 2022, personne n’aurait parié sur lui ! Mais, une fois installé, une fois testé, on se rends compte de la perle rare qu’est ce moteur !
Photo ci-contre : Le moteur GBoost et son contrôleur. Mini poids, maxi assistance.
Par sa legèreté, ce moteur était l’option idéale pour moi qui voulait minimiser au maximum le poids total de l’engin solaire. Il est aussi extremement puissant et efficace, notamment en montée, où il developpe toutes ses capacités. En effet, le galet (environ 6cm de diamètre) qui entraine la roue (70cm de diamètre) agit comme un démultiplicateur dans la chaîne de transmission des efforts. En effet, pour un tour de roue, le galet GBoost aura tourné un peu plus de 10 tours. Il peut donc délivrer dans la durée son couple maximal de 50Nm, même dans une montée raide (> 10%). Le moteur idéal pour un parcours montagneux ! En revanche, sur de longues étapes de plaine, il s’est averé moins performant, car pour tenir la vitesse sur le plat (environ 35-40km/h), le galet devait tourner très vite, et il consommait donc énormément d’énergie (bien plus que dans les montées).
Le controleur est aussi fabriqué par GBoost, et il tire clairement son épingle du jeu ! La selection des modes d’assistance est très basique (5 modes), mais le contrôleur régule automatiquement la puissance délivrée par le moteur, selon la température interne du moteur. Il m’est donc arrivé de faire chauffer le moteur, souvent en fin de journée, dans un dernier grand col. Le contrôleur n’envoyait alors que la moitié de la puissance au moteur, pour que celui-ci redescende en température : les mollets devaient compenser ce manque de puissance, et alors je me fatiguais très vite ! Mais au moins le moteur était sauf. C’est une sécurité indispensable, car on ne se préoccupe pas de la chauffe moteur, et les risques de griller le moteur sont vraiment réduits.
Le GBoost a encore un autre avantage (si, si !) : il peut faire de la régénération ! Comme le galet se met à tourner quand on lui fourni de l’energie, il peut physiquement fournir de l’energie s’il tourne ! Le developpement de la régénération n’est pour autant pas le plus abbouti, car cette régénération est « naturelle », non contrôlée électroniquement. Il faut donc emmener le vélo (et donc le galet) à une vitesse suffisament elevée pour fournir un potentiel supérieur à ce qu’il reste dans la batterie. En pratique, j’ai observé une recharge instantannée d’environ 150W à…50km/h. Autant dire que je n’ai pas régénéré souvent : il fallait un asphalt parfait, sans trop de virages, bref, une route quasi-introuvable !
Dernier point positif de ce moteur : il est débrayable. A tout moment, une commande au guidon permet de tirer sur le galet, qui n’est alors plus au contact du pneu. Le vélo se comporte alors comme un vélo classique ! Cela peut s’averer très utile lorsque l’on veut vraiment economiser un maximum l’energie de la batterie. Par temps pluvieux, il m’est arrivé de pédaler (doucement mais sûrement) sans moteur, sur des portions en faux plat descendant. Le débrayage du galet peut aussi être utile lors d’une panne ou casse moteur, pour ne pas être bloqué et pour pouvoir rouler à la force des jambes jusqu’à la prochaine ville pour se dépanner. Heureusement, c’est un cas de figure que je n’ai pas eu à experimenter !

Cellules solaires

[INES – https://www.ines-solaire.org/]
Poids : 2.685kg par module / TOTAL ~ 5.4kg
Puissance : Module 1 flashé à 169,158Wc / Module 2 flashé à 163,902Wc / TOTAL ~ 330Wc
Elément essentiel d’un vélo solaire, les panneaux photovoltaïques que j’ai eu la chance d’utiliser sont sortis tout droit de l’INES : Institut National de l’Energie Solaire. L’idée reste la même que pour les autres éléments : légèreté et fiabilité !
Il a été décidé de construire deux modules identiques de 0.8m², pour simplifier leur fabrication et aussi leur utilisation : si un des deux panneaux venait à être lourdement endommagé (chute, défaillance), il est alors très facile d’empiler les deux panneaux à l’arrière du vélo et de continuer le voyage !
Les cellules qui composent les deux modules sont des cellules solaires SunPower, grand classique utilisé par de nombreux voyageurs à vélo solaire dont la pertinence n’est plus à démontrer. Ces cellules possèdent un haut rendement (environ 23%) ; leur connectique est en face arrière (le fameux « back contact »), ce qui permet de recevoir le soleil sur l’intégralité de la surface de la cellule ; elles sont très fiables car elles acceptent de petites déformations et tolèrent bien les vibrations.
La nouveauté réside dans l’assemblage des panneaux photovoltaïques eux-même.

Le fameux nid d’abeille aluminium, vue en coupe.

Les cellules sont fixées sur une plaque d’aluminium en nid d’abeille, très légère et très rigide. Cette plaque est autoporteuse : plus besoin de cadre lourd et encombrant pour fixer le panneau photovoltaïque ! On obtient un ratio puissance/poids de 60Wc/kg, ce qui est très bon ! Cette plaque en aluminium permet aussi de réguler en température le module : lors du roulage, le vent induit refroidit l’aluminium qui est bon conducteur thermique, et refroidit aussi les cellules SunPower. Plus une cellule reste froide, meilleur est son rendement. C’est un point à ne pas négliger. La face supérieure des cellules est protégée par plusieurs couches de protection très fines.

Autre nouveauté dans l’architecture de ces modules : des petites « pattes » métalliques sortent à l’avant et à l’arrière. Cela permet de palier à une casse materiel : si un coin du panneau est inopérant (après un choc par exemple), il suffit de shunter toute une ligne de cellules, en se connectant sur la « patte métallique raccordée aux lignes de cellules encore saines. Une adaptation facilement réalisable au bord de la route !

Les modules sont montés sur la structure avant et arrière du vélo. Ils sont pris en sandwich par deux profilés aluminium spécifiques.

De magnifiques portions de frite en mousse bleu viennent protéger des chocs tout ce dispositif.

Astuces et remarques

En vrac, quelques astuces et remarques diverses.
– Je souhaitais installer des barres prolongatrices au départ, pour gagner en aérodynamisme sur les étapes de plaine. Au final, cela s’est avéré inutilisable, car la structure du panneau photovoltaïque avant entrainait un guidonnage léger mais redoutable, suffisant pour devoir bien tenir le guidon à ses extrémités.
– Bidons d’eau : n’ayant plus de place dans le triangle du cadre, j’ai placé deux bidons de 750mL directement sur le guidon. Ces bidons comportent une pipette souple et coudée. Très pratique, facilement accessible, bref une super alternative !
– Bidon d’outils : il est très important d’avoir un minimum d’outils et de matériel de réparation sur soi sur un voyage en autonomie. J’avais logé la majeure partie de ce matériel dans un bidon de 500mL, placé sous le boitier de pédalier. Ça participe à l’abaissement du centre de gravité, ça ne gêne pas, et ça ne prend pas de place inutile ailleurs !
– Le « soldering sleeve » (ou manchon de soudure en français) est l’allié parfait du voyageur à vélo solaire. C’est une sorte de gaine thermo-rétractable, intégrant aux deux extrémités un matériau d’étanchéité, et une bague d’étain au milieu. On peut ainsi très facilement réparer une connexion électrique en utilisant un simple briquet au bord de la route !
– Pour terminer, j’aborderai la question du budget. Pour la réalisation de cet engin solaire (qui reste mon vélo de tous les jours lorsqu’on enlève toute la partie « solaire »), il faut compter un peu plus de 6 000€, répartis comme suit : Vélo ~3500€, Moteur ~800€, Batterie ~900€, Structure et accessoires ~800€. Les panneaux photovoltaïques sont absents de ce budget, car ils m’ont été prêté par l’INES.

Mise en perspective

En analysant les données de navigation, j’ai pu estimer la consommation d’énergie électrique de mon engin solaire autour de 8Wh/km. Au total, j’ai roulé plus de 5000km et avalé quelques 90 000m de dénivelé lors du Sun Trip Alpes 2022 et lors des sessions de préparation. Sur la totalité du parcours, les données renvoient une vitesse moyenne de 25km/h. Au global, c’est donc 40kWh d’énergie électrique produite par les panneaux photovoltaïques et consommée par le moteur, soit l’équivalent…de 4 litres de diesel ! Si j’ose faire la comparaison, on peut dire que je consommais du 0.08L/100km. Un verre de vin rempli d’essence, tous les 100km !

La seule question à se poser est : Pour une même quantité d’énergie, préférez-vous rouler à 25 km/h pendant 6 mois avec un engin solaire de 40kg ou rouler à 80km/h pendant une heure avec une voiture d’une tonne ?
A vous de le décider !

 

Annexes

Plan de cintrage du profilé Bosch avant droite

 

Plan de cintrage du profilé Bosch avant gauche